D'après Grand absent, par Laurent Graff. Le dilletante, 2014.
De descriptions mécaniques qui versent dans la fiction à l'invention de règles arbitraires (comme à propos des voitures garées à l'envers p 17), ou à propos des sanctions (véhicules démolis p 16), comportements absurdes dans leur logique interne (files d'attente p 24).
Description de l'envers invisible du décor, tout autant inutile qu'indispensable, et décrit sur le même ton (les gaines d'aération p 22).
Description tout autant mécanique et fatale du hasard qui frappe de manière tellement planifiée (l'homme qui s'arrête, et les travaux ensuite p 33, 36).
Extraits
p 16, 17
p 16, 17
(parking)
Longtemps, on été tolérant. Les pictogrammes n'y suffisent pas, il y a toujours des véhicules contrevenants. Une bande de voyous est envoyée sur les lieux. Comment ont-ils été recrutés ? À une heure tardive dans les chantiers de fouilles archéologiques. Ils sont enchaînés les uns aux autres et se déplacent ainsi, en paquet. Ils ont des tournevis pointus et des sacs de cailloux. Fumer dans le parking est interdit alors ils mâchent des morceaux de lianes. Cracher est interdit aussi, alors ils avalent le jus. Ils portent des blousons de cuir et des petits pansements sur les joues ou le menton parce qu'ils se sont coupés en se rasant. Ils arrivent devant le véhicule contrevenant. Ils lancent leurs cailloux sur le pare-brise, ils rayent la peinture et percent les pneus avec leurs tournevis. Puis ils regagnent leur poste en faisant tintinnabuler leurs chaînes.
Longtemps, on été tolérant. Les pictogrammes n'y suffisent pas, il y a toujours des véhicules contrevenants. Une bande de voyous est envoyée sur les lieux. Comment ont-ils été recrutés ? À une heure tardive dans les chantiers de fouilles archéologiques. Ils sont enchaînés les uns aux autres et se déplacent ainsi, en paquet. Ils ont des tournevis pointus et des sacs de cailloux. Fumer dans le parking est interdit alors ils mâchent des morceaux de lianes. Cracher est interdit aussi, alors ils avalent le jus. Ils portent des blousons de cuir et des petits pansements sur les joues ou le menton parce qu'ils se sont coupés en se rasant. Ils arrivent devant le véhicule contrevenant. Ils lancent leurs cailloux sur le pare-brise, ils rayent la peinture et percent les pneus avec leurs tournevis. Puis ils regagnent leur poste en faisant tintinnabuler leurs chaînes.
L'idée
n'a pas été retenue. Un bureau spécialisé est dédié aux
problèmes non résolus par les bureaux normalement en charge des
dossiers. On y réfléchit mieux. On y dessine encore plus, sur de
grands tableaux blancs, avec des flèches de couleur. Concernant les
véhicules garés à l'envers, on a plusieurs pistes, on étudie la
question. On va trouver. On a toujours trouvé.
P 22
(files d'attente)
Cependant,
les secteurs bénéficiant de la climatisation peuvent changer. Les
clapets se ferment là et s'ouvrent ici. Personne ne le décide, on
ne sait pas d'où ça vient, c'est pour ainsi dire naturel. Le
phénomène est vécu un peu comme un évènement météorologique.
L'air frais disparaît graduellement d'une zone pour apparaître dans
une autre. La climatisation en fin de compte n'y est pour rien. Ce
sont les aléas du ciel.
p24
(files d'attente)
Un
service de restauration rapide est proposé. Les commandes sont
prises par des serveurs. Ils portent des gilets noirs comme des
garçons de café. On lève la main pour les appeler. Pas trop haut.
Jamais au-dessus de la tête. Avec tous les doigts de la main. Éviter
dire "hep !" ou "s'il vous plaît !" La sobriété
est récompensée. Si l'on est relégué au cœur de la file
d'attente, loin des bords, on peut faire passer le mot à ses voisins
qu'on souhaite commander. Ils joueront le jeu.
P 73
(cimetière
numérique)
La
boîte de dialogue tombale est une riche création. Elle permet
d'accéder à l'album du défunt. […] Dans une fenêtre dédiée le
visiteur dépose ses condoléances ou écrit un commentaire. Un
compteur enregistre le nombre de visites. Celui-là se rend sur la
tombe de son fils (deux cent trente visites), mort dans un accident
de la route.
incipit, p 7
Le
parking est plein, complet, toutes les places sont prises, sur les
trois niveaux. Pareil dans les autres terminaux de l'aéroport. C'est
comme si les gens étaient partis et ne revenaient pas. À moins
qu'ils ne délaissent leur véhicule et l'abandonnent ; ils rentrent
à pied ou prennent un taxi. On a barré l'accès, indiquant avec des
panneaux que le parking était fermé. Les barrières restent
baissées ; on ne sort pas, on n'entre plus.
En
temps normal, le flux des entrées et des sorties s'équilibre, avec
un taux d'occupation de soixante-cinq pour cent. On distingue les
stationnements de courte durée, en général moins de deux heures,
les temps d'accompagner ou d'aller chercher des passagers, des
stationnements de longue durée. Il existe des formules tarifées à
la journée, à la semaine ou au moins. On a vu des véhicules rester
un an. La poussière les recouvre peu à peu. On les reconnaît à
leur peinture ternie, leur teint mat. Ils prennent la couleur du sol.
Et puis, un jour, ils s'en vont, on vient les chercher. La place
qu'ils occupaient est étrangement libre.
Parfois on les enlève. Une dépanneuse les remorque et on les emmène.
*
Laurent Graff décrit mécaniquement, froidement, à l'aide de l'absurde, de l'arbitraire, en restant toujours suffisamment précis, c'est à dire juste ce qu'il faut, au présent, ou créer des arbres de possibilités, au présent (si <cas, condition, possible> alors <il se passe ceci> sinon <il se passe cela>, il peut émettre des hypothèses au conditionnel (si <hypothèse, y compris farfelue> alors <il se passerait ceci>), fermer des possibilités, en ouvrir d'autre, de manière un peu algorithmique comme dans L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec (ici sur France Culture).
Consigne(s)
Nous écrirons ainsi le mode d'emploi du Lycée, critique du lieu par l'écriture d'une description par l'exagération absurde de ses lieux emblématiques comme de ses lieux les moins courrus. Ses entrailles, ses files d'attentes, ses angles, ses niveaux, ses règles, ce qu'il y a derrière les portes et au détour des couloirs… ; qu'est-ce qui est absent du lycée ? Qu'est-ce qui, dans son fonctionnement pratique, par l'absurde, nous éloigne de l'éducation, de la vie, de l'humain, ou peut-être au contraire nous en rapproche…
Nous écrirons ainsi le mode d'emploi du Lycée, critique du lieu par l'écriture d'une description par l'exagération absurde de ses lieux emblématiques comme de ses lieux les moins courrus. Ses entrailles, ses files d'attentes, ses angles, ses niveaux, ses règles, ce qu'il y a derrière les portes et au détour des couloirs… ; qu'est-ce qui est absent du lycée ? Qu'est-ce qui, dans son fonctionnement pratique, par l'absurde, nous éloigne de l'éducation, de la vie, de l'humain, ou peut-être au contraire nous en rapproche…
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