Présentation des ateliers


Atelier #1, les murs, Bozier. Présentation, textes.


Atelier #2, StreetView, Flaubert, Bergounioux, Hodasava. Présentation, textes.


Atelier #3, Lycée absent ? Graff. Présentation, textes.


Atelier #4, Le banal explose à la figure. Kaplan. Présentation, textes.


Toutes les consignes. On peut aussi naviguer via le nuage de mots-clés sur le côté…


ateliers donnés par Joachim Séné, au groupe "Littérature et société"

de Michel Brosseau, professeur de Lettres au Lycée Jacques Monod de Saint-Jean de Braye

printemps 2014

jeudi 22 mai 2014

ATELIER #4, Le banal explose à la figure


D'après « La femme du magazine », premier texte de Toute ma vie j'ai été une femme, de Leslie Kaplan, aux éditions P.O.L. :


Une fois j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Juste un peu, mais elle me ressemblait. Ça m’a fait un effet pas possible. Pourquoi elle me ressemble, je n’arrêtais pas de me répéter ça, pourquoi elle me ressemble. Je la regardais, je notais des détails, je remarquais une chose ou une autre, elle avait un pli au coin de la bouche, moi j’ai le même, je ne sais pas si d’autres pourraient le remarquer, mais moi je le sais, je le remarquais, et aussi la couleur des cheveux, c’est le même brun, enfin, je crois, en tout cas je le sentais pareil, et je n’arrêtais pas de me dire ça, pourquoi elle me ressemble, pourquoi cette femme me ressemble. À la fin je devenais folle. Je n’en pouvais plus, je l’ai raconté à ma meilleure amie, elle a écouté, elle m’a dit, mais tu te demandes pourquoi elle est dans le magazine, et pas toi, c’est ça que tu te demandes, cette femme te ressemble et elle est dans le magazine, c’est ça qui te perturbe, et là ça m’a arrêtée, je me suis dit, oui c’est vrai, elle est dans le magazine et pas moi, c’est pour ça que ça me perturbe. C’est vrai que je ne voyais pas ce qu’elle avait fait pour être là dans le magazine, être là à me ressembler. Ça m’a un peu calmée. Mais après ça m’a repris. Pourquoi elle et pas moi, pourquoi elle est dans le magazine et pas moi, en fait elle n’avait rien fait de spécial, elle était juste dans le magazine, je ne sais plus qui c’était, elle était mariée, elle avait des enfants, elle avait un problème de santé, je ne sais plus, elle était là dans le magazine, et plus j’y pensais, plus ça me rendait malheureuse, elle me ressemblait, pourquoi elle était dans le magazine et pas moi. Son nom était marqué, mais ça ne me disait rien, je ne la connaissais pas, je ne sais pas qui la connaît, mon amie ne la connaissait pas, personne ne la connaissait mais elle était là, elle me ressemblait et ça me rendait malheureuse.
On est dans la société du bonheur et on est malheureux. Tous les jours, tout le temps, il y a des raisons d’être malheureux. Quand on travaille. Quand on ne travaille pas. Quand on a des enfants. Quand on n’a pas d’enfants. Et la santé. Et les vacances. On a tous les jours des raisons d’être insatisfait, malheureux, mécontent. Et là. Cette femme qui me ressemblait, dans le magazine, je ne sais pas pourquoi, ça m’a explosé à la figure.

Photo : Bruno Geslin, source : lesliekaplan.net
Il s'agit d'un monologue intérieur qui revient de manière lancinante, obsédante, sur une image banale, issue d'un magazine. Cette image a arrêté la narratrice, l'a stupéfaite, c'est à dire paralysée, par un simple détail, une coïncidence : la femme de la photo lui ressemble. 

Les répétitions montrent à la fois le processus de paralysie de la pensée, mais aussi le moyen par lequel la pensée réussit à prendre le dessus, car il y a d'infimes variations, des questions et une description de la photo se mêlent, et conduisent à la folie, puis à l'aide de quelqu'un qui avait suggéré une raison (elle te ressemble) alors le monologue repart, avec une question différente, et puis un constat qui vient frapper, un constat accablant, comme une révélation, qui "explose à la figure".

Pour autant rien ne sera dit, expliqué, le sentiment est éclairci, on a mis le doigt sur quelque chose, la pensée mise en marche a aboutit à une modification, sans pour autant rien changer.  

Le texte lui-même semble exploser avec ces blocs répétés qui s'éparpillent en se mélangeant :


Consigne 

Partir d'un fait anodin qui vous implique, pas une "photo dans un magazine", mais par exemple :
  • quelqu'un a la même voix que vous
  • votre nom apparaît comme enseigne d'un magasin, restaurant…
ou, légèrement différent :
  • dans un lieu public, vous avez l'impression de vous voir dans un miroir, un reflet, et en fait la personne s'éloigne
  • ou au contraire vous pensez que quelqu'un vous regarde, et c'est votre reflet 
 encore un peu différent :
  • un parfum qui vous rappelle quelque chose, quelqu'un mais vous ne savez pas quoi, ou pas qui
  • une musique qui passe, impossible de se souvenir du titre
  • un mot, un nom, sur le bout de la langue
Quelque chose manque, ou ne se raccroche pas (à quoi ? à la réalité ?), c'est anodin et en même temps…

et puis cela devient une obsession, par des répétitions, de légères variations
décrivez ce qui est banal et pourtant vous frappe
pourrait mener à la folie (on reste pourtant hors)

faire intervenir quelqu'un qui suggère une raison
reformulez cette raison par une phrase courte / choc
cela se mêle à la litanie de départ
ce qui frappe, ce qui peut être exliquer,

et mène au constat (abrupt, court / choc, philosophique, politique)

ici "ça me rendait malheureuse" mène à "On est dans la société du bonheur et on est malheureux"
bien sûr on cherchera autre chose que malheur / bonheur, des sentiments à relier ou à opposer, parmi :  tristesse, colère, joie, humiliation, honte, revanche, peur, confiance, mélancolie, pitié, liberté, déception, culpabilité, etc., etc.

à chaque étape même jeu de répétitions, de mélange

et concluez sur une dernière phrase courte / choc
sur le ressenti
comment la violence de ce banal a surgit
quelque chose est modifié


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