Présentation des ateliers


Atelier #1, les murs, Bozier. Présentation, textes.


Atelier #2, StreetView, Flaubert, Bergounioux, Hodasava. Présentation, textes.


Atelier #3, Lycée absent ? Graff. Présentation, textes.


Atelier #4, Le banal explose à la figure. Kaplan. Présentation, textes.


Toutes les consignes. On peut aussi naviguer via le nuage de mots-clés sur le côté…


ateliers donnés par Joachim Séné, au groupe "Littérature et société"

de Michel Brosseau, professeur de Lettres au Lycée Jacques Monod de Saint-Jean de Braye

printemps 2014

vendredi 23 mai 2014

Le miroir

Il m'arrive souvent le soir de me regarder dans le miroir de ma salle de bain avant d'aller me coucher, mais ce soir là un sentiment d'étrangeté envahit mon âme. Je n'avais pas l'impression que c'était moi, que c'était mon image que le miroir reflétait. J'avais l'impression d'être enfermée, quelque part, invisible et que quelqu'un qui m'était pourtant si familier mais à la fois si inconnu avait prit ma place. Je ne me reconnaissais plus et l'intrigue m'envahissait. Je fermais les yeux, les rouvrait, laissant le jeu de lumière jouer avec mes pupilles qui se rétractaient rapidement. Je continuais à fixer mon reflet sans dire un mot. Je me suis retournée et ait fermé les yeux, puis, je les ai rouverts. Je me suis regardé de haut en bas avant de faire demi-tour vers le miroir, de nouveau. Je pus reconnaître mon visage un court instant avant de replonger dans un sentiment d'étrangeté totale. J'avais l'impression d'avoir perdu mon identité, de ne plus être moi-même. C'était moi, pourtant, et je le savais. Seulement, j'avais peur et je commençai à me poser des question en rapport avec mon identité, ma personnalité, mon regard sur le monde. Je me suis sentie vidée, apeurée, comme si ce visage que je connaissais tant avait changé, comme si je n'étais plus la même. J'avais envie de crier, du plus profond de moi-même et je continuais à me fixer, encore et encore, pourtant, sans dire un seul mot. Je me contentais simplement de regarder chacune des parties de mon corps avant de détourner, une nouvelle fois, les yeux vers mon visage qui paraissait désormais avoir un air moqueur, un air amusé, comme si mon reflet se fichait de moi, de mes réactions. J'avais l'impression de rêver ou bien d'être devenue folle. Après tout, ce n'est guère commun de ne pas se reconnaître en regardant son reflet dans un miroir avant de dormir. Je fermais mes poings, je les rouvrais, je fermais mes yeux, je les rouvrais. Mais toujours cette même sensation me revenait, comme un cauchemar sans fin. Qu'est-ce qui avait changé chez moi ? Qu'est-ce qui clochait ? étais-je devenue folle et bonne à enfermer ? Je ne savais pas quoi en penser et la peur régnait au fond de moi. Et je me demandais encore et encore « Pourquoi ? Pourquoi il m'est impossible de savoir si je rêve ? Pourquoi est-il impossible pour moi, de reconnaître le propre reflet de ma personne ? Ai-je changée ? Suis-je devenue folle ? » Toutes ces questions me trottaient dans la tête. Commençant à m'inquiéter à mon propre sujet, je sortis mon téléphone. Une heure était passée sans que je m'en sois rendue compte. Je composai je numéro d'un ami insomniaque pour lui demander ce qui n'allait pas chez moi. Il décrocha, alors je lui demandais si quelque chose avait changé chez moi, si j'étais quelqu'un de différente depuis qu'il m'avait connu. Il me répondit vivement que j'avais pris de l'assurance, de la fermeté, que j'étais devenue quelqu'un qui n'aimait pas montré ses faiblesses aux gens, que je souriais tout le temps. Il me connaissait bien, certes, mais cela ne répondait pas à mes questions. Lorsque je raccrochai, j'abaissai mes yeux au sol en me demandant encore pourquoi je n'arrivais pas à répondre à cette question qui s'était transformée en mystère total pour moi. Apeurée, intriguée mais à la fois intéressée par ce qui m'arrivait, je partis me coucher. Le lendemain matin, tout était revenu à la normal. Le soir, mon délire recommença et je commençai à m'en amuser bien que je restais intriguée.

Les hommes perdent leur identité de nos jours. Nous qui sommes censés être si différents sommes pourtant si ressemblants. Tout le monde rigole avec tout le monde, tout le monde est hypocrite avec tout le monde. Nous avons un caractère si différent des uns des autres mais pourtant si commun. L'humanité toute entière change pour devenir quelque chose de commun, un tout qui ne ferait plus qu'un dans toute sa totalité. La mode, le maquillage des filles, le style des garçons, la façon de parler. Tout ce qui, avant, avait l'occasion d'être unique, aujourd'hui est devenu toujours plus copié, toujours la même chose. Je ne comprends pas pourquoi chaque personne cherche à sortir du lot commun alors qu'ils ne font rien pour. Nous sommes comme des copies d'un prototype humain. Sommes-nous donc finalement tous pareils ? L'humanité me désespère et c'est en regardant dans le miroir que je m'en suis aperçu, ce soir là. Je ne sais pas pourquoi moi, ni comment cela m'est venu, mais je l'ai remarqué. J'ai ouvert les yeux sur la société.

Océane Kalfa

L'album de musique

Il y a cet album de musique qui porte mon prénom, je ne connais ni le genre ni l'auteur mais il porte mon prénom. Je l'ai vu dans un kiosque en bas dans la rue, je ne connais pas mais je l'ai acheté. Pourquoi je ne sais pas, ça me perturbe, ça me déboussole il faut que je sache. Mon prénom je le porte parce que il reflète d’où je viens ou plutôt de qui je viens. Alors que signifie mon prénom sur cette pochette, une marque de fantaisie ? Mes camarades pensent que je suis trop paranoïaque et m’ont dit que si j'étais si perturbée à cette idée c'était parce que mon prénom était unique, et c'était peut-être le fait de lui enlever son originalité, qui au final me perturbait. En fin de compte ils ont sûrement raison, cette réponse logique m'a apaisée. 

On nous dit qu'il faut se démarquer, et que l'originalité est récompensée pourquoi alors faire des copier-coller de chaque chose unique pour au final qu'elles soient dépassées et mélangées à la masse ? Il y a des causes à ce copier-coller. Pour être fun. Pour être rebelle. Pour s'intégrer. Ou pour ne pas être rejeter, alors on confond l'originalité à la masse.

Djeka

Odeur semblable

Un jour que je passais dans le métro j'ai vu une fille qui avait le dos tourné je ne lui aurais d'ordinaire pas accordé trop d'importance mais elle avait le même parfum que moi. C'était la même odeur sucrée et délicate qu'elle laissait derrière son passage et ses cheveux détachés avaient le même aspect que les miens. Je suis sûre qu'elle avait utilisé le même shampooing, le même après-shampooing, la même serviette, je suis sûre qu'elle avait appliqué les mêmes frictions avec ses mains sur sa chevelure encore humide, je suis sûre qu'elle avait mis le même masque que moi sinon ses cheveux n'auraient pas eu cet aspect là, j'étais également sûre que son sèche-cheveux était similaire au mien, que sa brosse était la même, et que sa façon de se faire une tresse la nuit pour obtenir de belles ondulations était exactement similaire à ce que je faisais ; cette fille utilisait les mêmes gestes que moi pour soigner ses cheveux… Je repassais dans ma tête les gestes que j'avais effectués la veille sous la douche… Le métro continuait son chemin et je me demandais sans arrêt comment fait-elle, pour obtenir avec ses cheveux le même parfum, et le même aspect que ceux que j'avais sur le crâne. Cette question m'obnubilait car même avec des produits similaires chacun a un brin de cheveu différent, là non, pas cette fois, c'était un phénomène qui défiait toutes les lois mathématiques et physiques actuellement disponibles sur la surface de la planète terre. POURQUOI POURQUOI POURQUOI et surtout comment est-ce possible ? Je ne trouvais pas d'argument raisonnables qui auraient pu expliquer le fait qu'une personne ait les mêmes cheveux que moi… Le métro s'arrêta, on était au terminus et cet individu descendit comme moi d'ailleurs, je remarquais qu'elle avait à peu près la même taille et la même carrure que moi… Elle emprunta les mêmes petites venelles et entra dans mon jardin puis elle se retourna et je reconnus ma sœur… 
Tout a donc une explication même si on ne la trouvait pas dans l'immédiat…

Alice

Cette chanson

J'ai déjà entendu cette chanson. Un air que j'avais déjà entendu auparavant. La mélodie était tellement magnifique impossible de l'oublier mais me rappeler de son nom ça c'était toute une autre histoire. Cette mélodie me rappelait des moments flous de mon enfance dans la maison familiale. Impossible de me rappeler qui fredonnait ces refrains et ces couplets si joyeux et entraînants. Je me rappelle juste de l'enthousiasme de son interprète qui adorait cette chanson. Un ami de mes parents ? Mon père ? Ma mère ? Mon frère ou ma sœur ? Impossible de me rappeler qui. C'était incroyable c'était comme si j'avais perdu un bout de ma mémoire. C'était un petit peu effrayant je dois dire. Cette chanson me trottait encore et encore dans la tête cela en devenait pénible même insupportable.

Charlotte M.  

Une odeur plaisante

C’était une odeur plaisante, douce mais relevée à la fin. Je ne saurais dire quel parfum c’était mais je le connaissais, d’où, je ne m'en souviens pas. Ce n’était pas l'odeur d'une fleur ou celle d'un petit plat de ma grand-mère, non ce n’était pas une odeur mais plutôt un souvenir.

Un souvenir oublié, effacé, perdu, au fond de ma mémoire. Comme si on me l'avait arraché à mon insu.

La seule chose que cette odeur m’évoque c'est la douceur éphémère d'un soir d’été, une odeur que je ne sentais qu'à un seul endroit, ou avec ne seule personne. 

Une personne… Mais oui c’était ça, une odeur familière qu'une personne avait, ce devait être un parfum connu mais sur cette personne en particulier cela diffusait un sentiment de bonheur et de sécurité. Mais qui ? Pourquoi je ne me souviens que de son odeur, qu'avait-elle fait ou que représentait-elle pour moi cette personne, un ami, un passant, de la famille, un amour ou bien simplement personne, juste le fruit de mon imagination. Ça me hantait l’esprit, et chaque jour qui passait je revenais ici sentir cette odeur me creusant l'esprit en quête de réponses à mes tourments. Ça me perturbait tellement que je n'en dormais plus. Je fouillais chaque recoin de ma chambre cherchant quelque chose qui puisse me donner un indice ou une raison valable de ne pas penser que je suis folle. 

Un soir je ne suis pas revenu. Déterminée à me changer les idées, je suis sortie faire la fête, à la fin de la soirée en sortant je bousculai quelqu'un, une odeur se glissa jusqu'à mon nez. C’était cette odeur, cette personne. Mais je ne suis pas retournée me disant que si je ne me souvenais que de l'odeur et non de la personne, c'est qu'elle n'avait plus d'importance, juste un souvenir agréable d'autrefois.

Khloé

Pub

Il y avait mon nom écrit partout, sur des panneaux publicitaires. C'était un panneau de pub pour un film qui allait sortir au cinéma, et l'acteur principal du film avait le même nom que moi. C'était assez étrange, je ne connaissais personne du même nom que moi à part ma famille. Pourquoi une personne connue avait-elle ce nom, pourquoi ? Le même que le mien en plus. Je me posais plein de questions jusqu'à ce que j'en parle avec ma mère, où elle me dit qu'on est pas les seuls à avoir ce nom, qu'il peut y avoir d'autres personnes qui l'ont, mais qui ne font pas partie de notre famille. Même si ma mère me rassura sur le sujet, ceci n'était pas logique pour moi. Le soir j'ai fait des recherches sur cet acteur qui portait le même nom que moi, et j'ai trouvé sur un site des informations sur lui, très intéressantes, mais cette personne ne me disait rien. S'il est acteur, j'aurais déjà dû l'avoir vu dans un film ou autre chose mais non, il ne me disait rien. Je ne sais pas pourquoi mais ça me pose problème qu'une personne du même nom que moi soit connue alors que moi non. C'est peut être que ça me gêne, normalement je devrais être contente qu'une personne connue ait le même nom que moi.

Julie

L'élégance

Je me souviens de cet homme d'une grande élégance, avait les mêmes yeux et les mêmes lunettes que moi, je me demandais sans cesse pourquoi il avait les mêmes yeux et les mêmes lunettes que moi car on n'était pas de la même famille. Moi en regardant mes cours de sciences de la vie et de la terre autrement dit par les élèves SVT, je sais que c'est un gène héréditaire pour les yeux mais pour les lunettes on sait que ce n'est pas un gène héréditaire car les lunettes ne font pas partie du corps humain. Pour moi la question sur les lunettes devenait une obsession à l'idée de se dire que j'ai les mêmes lunettes qu'un hommes très élégant, cela finissait par me perturber davantage.

Je me suis dit qu'il avait les mêmes goût que moi en matière de lunettes, mais faut l'avouer que mes lunettes sont à la mode.


Maxime

jeudi 22 mai 2014

Texte coupé

Mon écran était blanc mais j'allais commencer à écrire et puis juste à côté de moi je lis sur son écran et elle venait d'écrire la phrase que je voulais écrire. La même phrase exactement, les mêmes mots, avec même la virgule au même endroit. Du coup je n'ai rien écrit, je me sentais face à une expérience paranormale, démunie. Comment avait-elle pu écrire exactement les mots que je m'apprêtais à écrire ? Ceux que j'avais pensés, la même phrase. Comme si elle avait lu dans mes pensées. C'est ça, comme si elle était rentrée sous mon crâne, pour prendre ces mots, cette virgule, et le point, pour les photocopier, les copier, les couper, et ne me laissant sans rien. Je n'ai rien écrit. Je raconte ça à l'auteur qui donne les ateliers et tourne en rond au lieu d'écrire comme nous, il me dit qu'en fait j'en veux à ma voisine d'avoir écrit et pas moi, et que je dois m'en vouloir un peu. Ça m'a frappé, ce qu'il a dit, parce que c'était complètement à côté de la plaque. Il n'avait rien compris et ça rajoutait à l'injustice. Oui, c'est ça, l'injustice. Ces mots étaient à moi, elle m'avait plagiée et je ne pouvais rien prouver. Elle m'avait plagiée, personne ne pouvait me croire et il fallait que je me débrouille avec ça. Je n'ai rien écrit, j'étais démunie, et comment expliquer ça ? J'étais furieuse, en colère, l'envie de tout casser que provoque l'injustice. Mais bien sûr je n'ai pas bougée, je n'ai rien dit, je n'ai rien écrit, voilà tout. 

Je suis rentrée à la maison avec ma colère mais je n'ai rien oublié, surtout pas les mots qu'elle m'avait pris. Je lui en voulais de les avoir écrit bien sûr mais ça n'avait rien à voir. En fait je ne lui en voulait pas. Ce n'était pas ça. La colère, l'injustice, voilà, mais qu'est-ce que ça veut dire, être en colère ? Comment faire comprendre qu'il y a une injustice à quelqu'un qui ne la ressent pas dans sa chair ? Il m'a tout d'un coup semblé que la violence du monde, le pouvoir et sa violence, l'injustice généralisée, mondiale, que tout ce qui meurt partout dans le monde, proche ou lointain, tenait là-dessus, et donc moi aussi, ma peine d'être au monde, sur cette impossibilité pour quelqu'un d'extérieur de comprendre celui qui souffre en-dedans. 


JS

ATELIER #4, Le banal explose à la figure


D'après « La femme du magazine », premier texte de Toute ma vie j'ai été une femme, de Leslie Kaplan, aux éditions P.O.L. :


Une fois j’ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Juste un peu, mais elle me ressemblait. Ça m’a fait un effet pas possible. Pourquoi elle me ressemble, je n’arrêtais pas de me répéter ça, pourquoi elle me ressemble. Je la regardais, je notais des détails, je remarquais une chose ou une autre, elle avait un pli au coin de la bouche, moi j’ai le même, je ne sais pas si d’autres pourraient le remarquer, mais moi je le sais, je le remarquais, et aussi la couleur des cheveux, c’est le même brun, enfin, je crois, en tout cas je le sentais pareil, et je n’arrêtais pas de me dire ça, pourquoi elle me ressemble, pourquoi cette femme me ressemble. À la fin je devenais folle. Je n’en pouvais plus, je l’ai raconté à ma meilleure amie, elle a écouté, elle m’a dit, mais tu te demandes pourquoi elle est dans le magazine, et pas toi, c’est ça que tu te demandes, cette femme te ressemble et elle est dans le magazine, c’est ça qui te perturbe, et là ça m’a arrêtée, je me suis dit, oui c’est vrai, elle est dans le magazine et pas moi, c’est pour ça que ça me perturbe. C’est vrai que je ne voyais pas ce qu’elle avait fait pour être là dans le magazine, être là à me ressembler. Ça m’a un peu calmée. Mais après ça m’a repris. Pourquoi elle et pas moi, pourquoi elle est dans le magazine et pas moi, en fait elle n’avait rien fait de spécial, elle était juste dans le magazine, je ne sais plus qui c’était, elle était mariée, elle avait des enfants, elle avait un problème de santé, je ne sais plus, elle était là dans le magazine, et plus j’y pensais, plus ça me rendait malheureuse, elle me ressemblait, pourquoi elle était dans le magazine et pas moi. Son nom était marqué, mais ça ne me disait rien, je ne la connaissais pas, je ne sais pas qui la connaît, mon amie ne la connaissait pas, personne ne la connaissait mais elle était là, elle me ressemblait et ça me rendait malheureuse.
On est dans la société du bonheur et on est malheureux. Tous les jours, tout le temps, il y a des raisons d’être malheureux. Quand on travaille. Quand on ne travaille pas. Quand on a des enfants. Quand on n’a pas d’enfants. Et la santé. Et les vacances. On a tous les jours des raisons d’être insatisfait, malheureux, mécontent. Et là. Cette femme qui me ressemblait, dans le magazine, je ne sais pas pourquoi, ça m’a explosé à la figure.

Photo : Bruno Geslin, source : lesliekaplan.net
Il s'agit d'un monologue intérieur qui revient de manière lancinante, obsédante, sur une image banale, issue d'un magazine. Cette image a arrêté la narratrice, l'a stupéfaite, c'est à dire paralysée, par un simple détail, une coïncidence : la femme de la photo lui ressemble. 

Les répétitions montrent à la fois le processus de paralysie de la pensée, mais aussi le moyen par lequel la pensée réussit à prendre le dessus, car il y a d'infimes variations, des questions et une description de la photo se mêlent, et conduisent à la folie, puis à l'aide de quelqu'un qui avait suggéré une raison (elle te ressemble) alors le monologue repart, avec une question différente, et puis un constat qui vient frapper, un constat accablant, comme une révélation, qui "explose à la figure".

Pour autant rien ne sera dit, expliqué, le sentiment est éclairci, on a mis le doigt sur quelque chose, la pensée mise en marche a aboutit à une modification, sans pour autant rien changer.  

Le texte lui-même semble exploser avec ces blocs répétés qui s'éparpillent en se mélangeant :


Consigne 

Partir d'un fait anodin qui vous implique, pas une "photo dans un magazine", mais par exemple :
  • quelqu'un a la même voix que vous
  • votre nom apparaît comme enseigne d'un magasin, restaurant…
ou, légèrement différent :
  • dans un lieu public, vous avez l'impression de vous voir dans un miroir, un reflet, et en fait la personne s'éloigne
  • ou au contraire vous pensez que quelqu'un vous regarde, et c'est votre reflet 
 encore un peu différent :
  • un parfum qui vous rappelle quelque chose, quelqu'un mais vous ne savez pas quoi, ou pas qui
  • une musique qui passe, impossible de se souvenir du titre
  • un mot, un nom, sur le bout de la langue
Quelque chose manque, ou ne se raccroche pas (à quoi ? à la réalité ?), c'est anodin et en même temps…

et puis cela devient une obsession, par des répétitions, de légères variations
décrivez ce qui est banal et pourtant vous frappe
pourrait mener à la folie (on reste pourtant hors)

faire intervenir quelqu'un qui suggère une raison
reformulez cette raison par une phrase courte / choc
cela se mêle à la litanie de départ
ce qui frappe, ce qui peut être exliquer,

et mène au constat (abrupt, court / choc, philosophique, politique)

ici "ça me rendait malheureuse" mène à "On est dans la société du bonheur et on est malheureux"
bien sûr on cherchera autre chose que malheur / bonheur, des sentiments à relier ou à opposer, parmi :  tristesse, colère, joie, humiliation, honte, revanche, peur, confiance, mélancolie, pitié, liberté, déception, culpabilité, etc., etc.

à chaque étape même jeu de répétitions, de mélange

et concluez sur une dernière phrase courte / choc
sur le ressenti
comment la violence de ce banal a surgit
quelque chose est modifié


vendredi 16 mai 2014

Un trajet

C'est un bâtiment gris, triste et sale. La grille a des couleurs rouges et vertes et des vitres en plastique, jaunies par le temps, par le passage, par les chewing-gums et les coups de pieds… Les couloirs sont vides et l'on s'y perd… À chaque carrefour trois nouvelles voies font leur apparition… On en choisi une au hasard. Des morceaux de plafond tombent sur nos têtes, les murs sont sales. Sur les portes des lettres et des chiffres sont inscrits comme G21 ou I34… Tout à coup une alarme incendie se déclenche et de toutes ces salles étranges sort des millions de personnes immenses avec des jeans. Elles se mettent à crier, à se bousculer, à se taper dans les mains, à rire, à pleurer, à râler, à se plaindre, à attendre, à critiquer, à sortir des feuilles et les lire, à stresser, à réciter des leçons, à envoyer des messages… Et puis encore une fois cet horrible bruit qui crisse aux oreilles retentit et là, tout le monde entre à nouveau dans une salle pour une heure. Un groupe d'environ 35 petites personnes reste cependant à attendre... Vont ils se faire gronder ? Se seraient-ils tromper de direction, et perdus dans cet immense labyrinthe ? Certains disent « mais c'est bon là on y va maintenant ». Tandis que d'autres répliquent « non il nous faut encore patienter 15 minutes avant de nous en aller ». Puis une grande personne arrive et enfin toutes ces personnes s'engouffrent dans une salle aux tables dégradées et aux chaises qui couinent… Un bureau est tout seul et fait face à tous les autres, naturellement la grande personne s'y installe. Derrière elle, un écran blanc ou bleu, on ne sait pas trop… Cette grande personne se déplace pour aller à un poste relié au mur par des fils et commence à citer les noms auxquels petit à petit les élèves répondent… Ça ressemble un peu à une sorte de rituel, ou aux pratiques d'une secte sans que cela ne choque personne. À la fin de cette période le bruit retentit le bruissement des chuchotements devient plus fort et les cris reviennent, on se sent oppressé dans cette foule, il y a une proximité physique indescriptible. Certains se retournent pour vérifier que la carapace qu'ils ont sur le dos est toujours en place et que personne ne vient mettre ses mains dedans. On se dirige machinalement vers un endroit étrange, tout d'abord on traverse une sorte de passerelle où le bruit des pas résonnent jusqu'à vous faire mal à la tête. Puis on patiente (ou on s'éternise) dans une file d'attente de 150 km. C'est un moment détestable avec un mélange de sueur d'énervement de bruit d'estomac de soupir de « aller on a fait la moitié » durant 20 minutes qui paraissent infinissables… Arrivé au bout on passe une sorte de pass comme un identifiant secret… Pour prouver que l'on a mérité quelque chose. Une personne se tient en face de vous pour contrôler et vérifier que tout se passe dans l'ordre. On descend des escaliers, on prend un plateau, on se sert de ce que l'on veut dans les étalages proposés puis on monte à nouveau des escaliers pour rester assis à une table pendant 15 minutes maximum au bout desquelles on redescend le plateau qu'on dépose sur un tapis coulissant et on le regarde s'éloigner dans des pièces interdites où sont retirés les élément en métal comme les couverts…

Alice

Sonnerie !

La sonnerie retentit et une marée d'élèves se déversent dans les couloirs ; certains sortent en même temps que la sonnerie sonne et d'autres quelques minutes après, sûrement retenus par un professeur qui voulait terminer la leçon, ou leur donner des devoirs à rendre pour le prochain cours. Chaque élève essaie de se rendre au plus vite dans la salle où son prochain cours à lieu, les uns dans un sens, et les autre dans l'autre. Les élèves se croisent, leurs corps à seulement quelques centimètres ou millimètres les un des autres s'effleurent et se touchent, parfois même se bousculent, et de leur bouches sortent de temps en temps des « excuse-moi » ou encore des « pardon » et quelques fois non. La sonnerie retentit une seconde fois et la plupart des élèves sont dans leur classe à écouter leur professeur raconter le cours, alors que d'autres viennent à peine d'arriver à la bonne salle. 

Céline

Les couloirs

Les couloirs, un lieu vide quand tout le monde est en cours et en même temps un lieu rempli de lycéens qui se poussent dans tous les sens pour pouvoir avancer pendant les inter-classes. On dirait un troupeau d'animaux. C'est un endroit, où l'on pense ne jamais en ressortir tellement l'attente qu’il peut y avoir entre 2 portes de salles de cours. Un couloir, sérieusement, c'est laid, mais on y passe beaucoup de temps par jour là-dedans.

L'attente dans un lycée est long, on attend pour aller manger, on attend pour pouvoir circuler...


Julie

Le self (1)

Le self, un bloc de béton, des tables, des chaises.

À l'heure de 12 h une masse de centaines de visages se collent les uns aux autres. Une machine en métal pour limiter le passage à la foule. En bas la circulation est vivace, des visages surgissent de part et d'autre. C'est une usine à produire la nourriture, les gens s'y bouscule. Ils sont enfermé dans un espace clos et ajouré ou la lumière rend aveugle. Des voix de partout, des airs de musique ou de simples paroles.

Pour y passer 10min, ¼ d'heure, ou pas.

Le self (2)


Le self, grand bâtiment blanc où l'on mange tous ensemble. Mais avant de pouvoir aller prendre sa nourriture, on doit franchir le petit roulant ou l'on présente sa carte afin de pouvoir passer. Quand on arrive aux heures dites, la file d’attente est interminable. Chacun lutte pour arriver à la fin de la file, les corps s’entremêlent laissant un certain malaise, les pieds tâtant le sol, la tête tournant de chaque coté afin de ne perdre personne.

Quand on observe tout ce cinéma de loin on pourrait croire que se sont des troupeaux de bêtes sauvages allant tout droit vers l’abattoir. La froideur des murs blancs et de la passerelle rappelle, cependant, un hôpital psychiatrique pour ados perturbés. La foule, elle, ne m’inspire rien, tant elle m'insupporte, le fait d’être collés les uns au autres avec des inconnus n'est pas là pour rassurer les plus fragiles d’entre nous.

Mais nous devons y passer si nous voulons nous nourrir.

Khloé

La permanence

La permanence endroit normalement défini pour travailler. Certains y vont pour vraiment travailler, d'autres pour être au calme par rapport au foyer ou à l'agitation extérieure. La permanence est le plus souvent rempli autour de midi. Endroit idéal pour certains pour jouer tranquillement aux cartes avec leurs amis. Endroit pour se poser, qui n'est trop au calme comme le CDI ni trop bruyant comme au foyer.

Il est souvent trop peuplé quand le CDI et le foyer sont saturé. En hiver où quand il pleut, il est rempli à bloc. Dès que les beaux jours arrivent, il se vide encore petit à petit pour au final n'y laisser que les élèves les plus studieux travailler tranquillement. Certains d'entre nous n'y ont jamais mis les pieds et ne les y mettront jamais. Le soir la permanence est utile pour les internes, moment où ils font leurs devoirs, ils sont surveillés et il y règne un silence de marbre au grand désarroi des plus agités.

Charlotte M

I21

Le lycée, un lieu que fréquentent tous les adolescents pour étudier, pour parler avec leurs amis en se disant « Salut, sava ? » et en répondant normalement par « Oui, et toi ».

Dans ce lycée, il y a une sonnerie qui sonne 1 fois par exemple elle sonne à 13H55 et la 2é sonnerie est 5 minutes après. Dans ce lycée aussi, il y a des salles ou les élèves entrent, et ressortent  après 55 minutes ou 1 h 30 ou 2 h 00 de cours. 

Pendant les cours, les élèves sortent leurs trousses/cahiers/trieurs/classeurs/agenda. 

Il y a aussi des professeurs qui sont là pour que les élèves apprennent, et à la fin des 3 années de lycée, les élèves passent leur bac. 

Dans ce lycée, il y a des salles rangées par ordre alphabétique et aussi chiffrées en fonction des étages comme par exemple si vous êtes en I21, c'est que vous êtes au 2é étage et dans la colonne des I.

Maxime

Objet

L'objet semble particulièrement prisé le matin. Chacun s'y précipite. Peut-être est-ce la nécessité de composer un code pour y avoir accès qui crée une telle convoitise. L'opération est rapide : quelques minutes suffisent à la machine pour générer d'énormes paquets de feuilles. Toutes identiques. Pourquoi une telle obsession de reproduire le même ?

On en a vu, dit-on, poser leur main sur la vitre, puis regarder quelques instants la reproduction qu'en avait produit la machine. Ensuite, déchirer rageusement la feuille et la jeter dans la poubelle qui jouxte l'engin. Certains disent que parfois, mais nul n'a pu le vérifier, qu'à poser ainsi la main on obtient des textes étranges, lourds de révélations sur celui ou celle qui a tenté l'expérience. D'autres affirment qu'en déchirant la feuille, quelques-uns ont vu la main reproduite réduite à autant de morceaux. Mais ceci reste à vérifier.

Nul n'a accès aux sous-sols, hormis les équipes de service. Une partie d'entre eux y habitent. Ce détournement du lieu, bien que contraire au règlement intérieur, semble toléré par l'administration. Celle-ci doit y trouver un avantage. Sachant que là sont conservées les archives du lycée, ces habitants semi-clandestins assurent un gardiennage à peu de frais. 

Chaque élève, lors de sa première semaine au lycée, se doit de passer au CDI. On les voit entrer, un livre à la main, et aller déposer celui-ci sur une étagère. On dit que là se joue leur destin. Que ceux qui se trompent d'étagère parfois disparaissent et qu'on n'entend plus jamais parler d'eux. Quant à savoir comment deviner sur quelle étagère déposer son ouvrage, personne n'est capable de le dire. Ou, du moins, les avis divergent tellement que plus personne ne s'y retrouve.

On trouve au premier étage un bureau consacré à l'orientation. On craint de s'y rendre, de peur que ne tombe l'avis couperet : "perdu", "désaxé", "a perdu le nord", ou pire, "à l'ouest".

 Michel Brosseau

jeudi 15 mai 2014

ATELIER #3, Lycée absent


D'après Grand absent, par Laurent Graff. Le dilletante, 2014.

De descriptions mécaniques qui versent dans la fiction à l'invention de règles arbitraires (comme à propos des voitures garées à l'envers p 17), ou à propos des sanctions (véhicules démolis p 16), comportements absurdes dans leur logique interne (files d'attente p 24).

Description de l'envers invisible du décor, tout autant inutile qu'indispensable, et décrit sur le même ton (les gaines d'aération p 22). 

Description tout autant mécanique et fatale du hasard qui frappe de manière tellement planifiée (l'homme qui s'arrête, et les travaux ensuite p 33, 36).




Extraits

p 16, 17
(parking)
Longtemps, on été tolérant. Les pictogrammes n'y suffisent pas, il y a toujours des véhicules contrevenants. Une bande de voyous est envoyée sur les lieux. Comment ont-ils été recrutés ? À une heure tardive dans les chantiers de fouilles archéologiques. Ils sont enchaînés les uns aux autres et se déplacent ainsi, en paquet. Ils ont des tournevis pointus et des sacs de cailloux. Fumer dans le parking est interdit alors ils mâchent des morceaux de lianes. Cracher est interdit aussi, alors ils avalent le jus. Ils portent des blousons de cuir et des petits pansements sur les joues ou le menton parce qu'ils se sont coupés en se rasant. Ils arrivent devant le véhicule contrevenant. Ils lancent leurs cailloux sur le pare-brise, ils rayent la peinture et percent les pneus avec leurs tournevis. Puis ils regagnent leur poste en faisant tintinnabuler leurs chaînes.
L'idée n'a pas été retenue. Un bureau spécialisé est dédié aux problèmes non résolus par les bureaux normalement en charge des dossiers. On y réfléchit mieux. On y dessine encore plus, sur de grands tableaux blancs, avec des flèches de couleur. Concernant les véhicules garés à l'envers, on a plusieurs pistes, on étudie la question. On va trouver. On a toujours trouvé. 

P 22
(files d'attente)
Cependant, les secteurs bénéficiant de la climatisation peuvent changer. Les clapets se ferment là et s'ouvrent ici. Personne ne le décide, on ne sait pas d'où ça vient, c'est pour ainsi dire naturel. Le phénomène est vécu un peu comme un évènement météorologique. L'air frais disparaît graduellement d'une zone pour apparaître dans une autre. La climatisation en fin de compte n'y est pour rien. Ce sont les aléas du ciel. 

p24
(files d'attente)
Un service de restauration rapide est proposé. Les commandes sont prises par des serveurs. Ils portent des gilets noirs comme des garçons de café. On lève la main pour les appeler. Pas trop haut. Jamais au-dessus de la tête. Avec tous les doigts de la main. Éviter dire "hep !" ou "s'il vous plaît !" La sobriété est récompensée. Si l'on est relégué au cœur de la file d'attente, loin des bords, on peut faire passer le mot à ses voisins qu'on souhaite commander. Ils joueront le jeu.


P 73
(cimetière numérique)
La boîte de dialogue tombale est une riche création. Elle permet d'accéder à l'album du défunt. […] Dans une fenêtre dédiée le visiteur dépose ses condoléances ou écrit un commentaire. Un compteur enregistre le nombre de visites. Celui-là se rend sur la tombe de son fils (deux cent trente visites), mort dans un accident de la route.

incipit, p 7
Le parking est plein, complet, toutes les places sont prises, sur les trois niveaux. Pareil dans les autres terminaux de l'aéroport. C'est comme si les gens étaient partis et ne revenaient pas. À moins qu'ils ne délaissent leur véhicule et l'abandonnent ; ils rentrent à pied ou prennent un taxi. On a barré l'accès, indiquant avec des panneaux que le parking était fermé. Les barrières restent baissées ; on ne sort pas, on n'entre plus.
En temps normal, le flux des entrées et des sorties s'équilibre, avec un taux d'occupation de soixante-cinq pour cent. On distingue les stationnements de courte durée, en général moins de deux heures, les temps d'accompagner ou d'aller chercher des passagers, des stationnements de longue durée. Il existe des formules tarifées à la journée, à la semaine ou au moins. On a vu des véhicules rester un an. La poussière les recouvre peu à peu. On les reconnaît à leur peinture ternie, leur teint mat. Ils prennent la couleur du sol. Et puis, un jour, ils s'en vont, on vient les chercher. La place qu'ils occupaient est étrangement libre.

Parfois on les enlève. Une dépanneuse les remorque et on les emmène. 

*

Laurent Graff décrit mécaniquement, froidement, à l'aide de l'absurde, de l'arbitraire, en restant toujours suffisamment précis, c'est à dire juste ce qu'il faut, au présent, ou créer des arbres de possibilités, au présent (si <cas, condition, possible> alors <il se passe ceci> sinon <il se passe cela>, il peut émettre des hypothèses au conditionnel (si <hypothèse, y compris farfelue> alors <il se passerait ceci>), fermer des possibilités, en ouvrir d'autre, de manière un peu algorithmique comme dans L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec (ici sur France Culture). 

Consigne(s)
Nous écrirons ainsi le mode d'emploi du Lycée, critique du lieu par l'écriture d'une description par l'exagération absurde de ses lieux emblématiques comme de ses lieux les moins courrus. Ses entrailles, ses files d'attentes, ses angles, ses niveaux, ses règles, ce qu'il y a derrière les portes et au détour des couloirs… ; qu'est-ce qui est absent du lycée ? Qu'est-ce qui, dans son fonctionnement pratique, par l'absurde, nous éloigne de l'éducation, de la vie, de l'humain, ou peut-être au contraire nous en rapproche…